Santé et accès aux soins : l’urgence des enjeux

Santé et accès aux soins : l’urgence des enjeux

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Plus de six millions de Français, dont 600 000 atteints d’une affection de longue durée, n’ont pas de médecin traitant. Des chiffres pour le moins inquiétants. La désignation d’un médecin traitant est souvent difficile voire impossible pour les personnes habitant dans les zones dites sous-denses. Les propositions de loi sur l’accès aux soins et les déserts médicaux se multiplient. Plaidant pour plus de territorialisation des politiques de santé, l’AMF insiste sur le rôle central joué par les élus locaux et la nécessité de trouver des solutions « rapides et concrètes ». En visant la refondation du système de santé, un objectif pour le moins ambitieux, le CNR Santé, lancé par le gouvernement en octobre dernier, doit déboucher rapidement sur une série de propositions.

Les résultats des consultations du Conseil national de la refondation (CNR) sur la santé seront présentés « fin janvier, début février », et « viendront compléter les propositions faites par le président de la République », en début d’année. Telle a été l’annonce faite par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, le 11 janvier, au Sénat. Elle a tenu à souligner la « coordination nécessaire entre les collectivités, les soignants, les élus, l’ARS et l’Etat pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens ». Une position qui rejoint celle de l’AMF, plaidant pour « valoriser le rôle de coordonnateur joué par les maires au quotidien » afin de faire le lien, localement, entre le territoire et l’ensemble des acteurs de santé.

300 réunions du CNR Santé

Des différents CNR lancés par le gouvernement, celui consacré à la santé aura surement été le plus prolifique en nombre de rencontres thématiques et surtout territoriales. Plus de 300 réunions ont ainsi eu lieu, selon Agnès Firmin Le Bodo, en abordant quatre thématiques : l’accès aux soins, la prévention, l’attractivité des métiers et la permanence des soins. Très impliquée dans ces réunions, l’AMF a rappelé sa demande d’être mieux associée localement à l'organisation du système de soins. En défendant un rôle particulier de catalyseur entre médecine de ville et médecine hospitalière, et de facilitateur entre tous les partenaires (professionnels de santé, acteurs sociaux, services de l’Etat…). Selon la ministre, l’objectif du CNR Santé est la refondation du système de santé, basée sur deux principes : une meilleure coordination de l’ensemble des acteurs de santé à la ville comme à l’hôpital et une adaptation territoriale de la politique de santé. « Le décloisonnement du système de santé doit concilier liberté de l’exercice libéral avec la nécessité d’un plus fort engagement territorial », affirme-t-elle. A voir ce qu’il en ressortira concrètement.

Permanences des soins

Lors de ses vœux aux acteurs de la santé, le 6 janvier, Emmanuel Macron a salué le travail des CNR territoriaux qui seront « systématisés sur l’ensemble des bassins de vie ». Et de leur assigner pour tâche de « bâtir d’ici à la fin de l’année une feuille de route et de dire comment on s’organise ». Objectif : « l’ensemble des professionnels de santé vont s’engager sur une réponse pour pouvoir assurer la continuité des soins ». Cette contractualisation sur les moyens devrait permettre, selon lui, « de sortir du cloisonnement ville-hôpital ». Sans évoquer la place des élus locaux, il a insisté sur « la nécessaire coopération » à l'échelle des territoires pour le développement de réseaux de soins, et dessiné les contours d'un nouveau pacte avec la médecine libérale afin que la participation à la permanence des soins et la prise en charge de nouveaux patients soient plus incitatives. L’AMF souligne ici l’impératif d’une permanence des soins par bassin de vie. Elle plaide pour engager une réflexion plus large avec l’ensemble des acteurs afin de rétablir la permanence des soins en ville, et partager ses obligations avec un nombre plus important de professionnels. D’autant que cela constitue l’un des leviers pour lutter contre l’engorgement des services d’urgences. Par ailleurs, face aux conditions de vie parfois « très difficiles » des soignants (logement, horaires décalés, transports…), le chef de l’Etat a affirmé vouloir lancer « une grande initiative » avec les élus locaux pour définir « d'ici l'été prochain » un « plan d'action partagé » pour créer un « parc de logements dédiés ». Mais sans plus de précisions pour l’instant.

Coopération entre professionnels de santé

Face à ce qu’il appelait à une « crise sans fin » à l’hôpital et en médecine de ville, il s’est dit prêt à « mieux rémunérer » les généralistes mais uniquement « ceux qui assurent la permanence des soins et ceux qui prennent en charge de nouveaux patients ». Une mesure nécessaire, selon lui, pour lutter contre les déserts médicaux. Pour rappel, le nombre de généralistes est passé de 62000 à 57000 praticiens tandis que la densité médicale a diminué de 18% sur vingt ans. Et la fin du numerus clausus à l’entrée des études en médecine, depuis la rentrée 2021, ne donnera pas d’effets avant huit ans. Le chef de l’Etat a fortement insisté sur la nécessité pour les médecins de coopérer entre eux, avec les autres professionnels de santé (infirmières, kiné, pharmaciens…) et avec l’hôpital. La négociation en cours entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins devrait encourager ces pratiques. Les revalorisations tarifaires pourraient ainsi concerner uniquement ceux s’engageant dans un exercice plus collectif et participant aux gardes.

Partage des compétences et délégation des tâches

Pour dégager du temps médical, il promet de généraliser les assistants médicaux, créés en 2018 pour aider les médecins, en les portant de 4000 à 10 000 fin 2023. Il insiste aussi sur l'importance du partage des compétences et de la délégation des tâches envers les paramédicaux pour améliorer l'accès aux soins. Un propos qui rejoint la position de l’AMF pour trouver des solutions « immédiates » à la pénurie de professionnels de santé comme la délégation de tâches. Les annonces du chef de l’Etat ont été saluées par l’Ordre national infirmier (ONI) qui « se félicite » de la prise en compte des propositions de l’ensemble des ordres de santé, remises au ministre de la Santé, François Braun, en octobre dernier, pour faciliter la prise en charge des patients par une plus grande coopération et un meilleur partage des compétences.

Forte activité parlementaire

Sur le sujet de l’accès aux soins et des déserts médicaux, les propositions de loi (PPL) se multiplient au Parlement. Dernière en date, celle « portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé » de Stéphanie Rist, députée (Renaissance) du Loiret et rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a été adoptée à l’unanimité le 19 janvier. En procédure d’urgence, le texte sera discuté par le Sénat à compter du 14 février. Ses objectifs : libérer du temps médical, accorder de la reconnaissance et de l’attractivité aux professionnels de santé dans l'intérêt des patients. La PPL leur permet ainsi d'accéder directement aux kinés et orthophonistes sans passer par un généraliste. De plus, elle renforce la fonction d'infirmier de pratique avancée (IPA) qui pourront prendre en charge directement des patients dans le cadre d‘un suivi de maladies chroniques ou de pathologies bénignes. Elle élargit également la participation à la permanence des soins ambulatoire aux chirurgiens-dentistes, sages-femmes et infirmiers diplômés d’Etat. Sans surprise, le texte suscite une levée de boucliers des généralistes. Agnès Firmin le Bodo évoque « un texte important contre le décloisonnement du système de santé, avec un levier pour libérer du temps médical et faciliter l’accès à la santé des Français ».

Réguler l’installation des médecins

Autre initiative parlementaire : suite à plusieurs de mois de travail d’une commission transpartisane, le dépôt d’une PPL, le 17 janvier à l’Assemblée nationale, contre les déserts médicaux. Jugeant « utiles mais pas suffisantes » les politiques d’incitation à l’installation des médecins dans les zones sous denses, elle plaide pour créer une autorisation d’installation délivrée par l’ARS. En zone sous dotée, l’autorisation serait délivrée de droit pour toute nouvelle installation. Mais dans tous les autres cas, elle le serait uniquement si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien exerçant la même spécialité sur ce territoire. « Il s’agit d’un premier pas dans la régulation de l’installation qui permettra de stopper la progression des inégalités entre territoires », estiment les députés. Mais le gouvernement reste sur sa position en considérant que la coercition « ne fonctionne pas ».

Une 4ème année d'internat dans les zones sous-denses

Par ailleurs, une PPL du groupe Horizons sera débattue à l’Assemblée, le 2 mars, avec certaines mesures identiques. Elle veut lutter contre les déserts médicaux en permettant une meilleure répartition des médecins sur le territoire, dont l’installation serait soumise à une autorisation de l’ARS après avis du Conseil de l’ordre des médecins. Il rend également obligatoire leur participation au service d’accès aux soins (SAS), à quelques exceptions près. Autre mesure : la création d’un statut d’infirmier référent assurant « une mission de prévention, de suivi et de recours en lien étroit avec le médecin traitant ». On peut encore évoquer l’adoption par le Sénat, le 18 octobre dernier, de la proposition de loi de Bruno Retailleau (LR) sur la formation des internes en médecine générale, visant elle aussi à lutter contre les déserts médicaux. Son article unique prévoit une année supplémentaire d'internat à effectuer en priorité dans les zones sous-denses. Cette création d'une quatrième année d'internat, réalisée en médecine de ville et dans les territoires les moins bien pourvus, est actée dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 et entrera en application dès la rentrée prochaine.

Philippe Pottiée-Sperry

Pour aller plus loin : -Proposition de loi de Stéphanie Rist (Renaissance) portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0065_texte-adopte-seance -Proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0741_proposition-loi -Proposition de loi du groupe Horizons visant à améliorer l’accès au soin pour tous :https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0657_proposition-loi.pdf -Proposition de loi de Bruno Retailleau (LR) sur la formation des internes en médecine générale : https://www.senat.fr/leg/tas22-003.html

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